HISTORIQUE


Aperçu

Veuillez trouver ci-dessous un bref historique de la Society for French Historical Studies, extrait de The Society for French Historical Studies: The Early Years 28, no. 4 (2005): 579-600, par Edward Berenson et Nancy L. Green.  Cet essai a été présenté lors de la cinquantième conférence annuelle organisée en l’honneur du cinquantenaire de la Société.  Vous trouverez la version intégrale ici. Par ailleurs, la Society for French Historical Studies a récemment signé un accord qui prévoit l’incorporation du vénérable Institut Français d’Amérique à la SFHS. Pour un aperçu complet de l’histoire de la SFHS, vous trouverez également un bref historique de l’Institut Français d’Amérique en cliquant sur le lien ci-dessous:

Historique: Institut Français d’Amérique (en anglais)


Un peu d’histoire:
La Society for French Historical Studies

Au milieu des années 1950, notre champ d’études était un désert intellectuel et la France était mal comprise des médias américains. « Même le New York Times”, constatait amèrement Evelyn Acomb, historienne spécialiste de la laïcité en France, « publie des éditoriaux très condescendants à propos du pays ». Elle ajoutait que les historiennes et historiens nord-américains se désintéressaient en général de la France. Les conférences sur l’histoire de l’Europe ne prêtaient quasiment aucune attention à la France et les articles concernant cette dernière s’avéraient extrêmement difficiles à faire paraître, que ce soit dans l’American Historical Review ou dans le Journal of Modern History. En 1954, Evelyn Acomb et plusieurs de ses collègues décidèrent de remédier à cet état de choses. Ils créèrent la Society for French Historical Studies et c’est grâce à eux, et aux efforts de toutes celles et ceux qui leur ont succédé, que l’histoire de la France est devenue l’un des domaines les plus en vue et les plus dynamiques de ce côté de l’Atlantique.

Au début des années 1990, les travaux rédigés en anglais, principalement par des historiens et historiennes des Etats-Unis et du Canada, représentaient un tiers de tous les ouvrages et articles sur l’histoire de la France. . . . Outre French Historical Studies, deux autres publications sont consacrées à notre domaine: French History et French Politics, Culture, and Society, tandis que le Journal of Modern History et l’American Historical Review publient régulièrement des articles sur la France. Par ailleurs, même si les éditeurs français ont réduit leur offre en sciences sociales, les ouvrages des historiennes et historiens américains continuent d’être traduits. La meilleure preuve, peut-être, du dynamisme des travaux nord-américains réside dans la participation record à la conférence organisée à Paris pour le cinquantième anniversaire de la Society for French Historical Studies. Cette conférence, qui s’est tenue à la Bibliothèque nationale de France en juin 2004, a rassemblé près de neuf cents participants et participantes, dont un nombre appréciable de professeures et professeurs assistants récemment engagés. Rien de tout cela n’aurait été possible sans les efforts déployés, il y a cinquante ans, pour fonder une organisation professionnelle dédiée à l’expansion et à la promotion de l’histoire de la France, ainsi qu’au développement d’un espace intellectuel favorable à l’épanouissement de l’histiographie nord-américaine de la France.

Les prémices

En 1954, Evelyn Acomb, alors présidente de la New York Association of European Historians,      prit l’initiative de créer une organisation professionnelle pour les historiennes et historiens américains de la France,  après avoir constaté que seuls deux articles présentés lors de la réunion du groupe de 1954 étaient consacrés à la France et que l’American Historical Association (AHA) avait également tendance à négliger l’histoire de la France. Acomb proposa alors d’organiser une réunion réservée aux historiens et historiennes de la France. . . . . En décembre 1954, une dizaine de personnes, dont Beatrice Hyslop, du Hunter College, qui avait aussi été contactée par Acomb, se retrouvèrent lors de la réunion annuelle de l’AHA pour prendre un verre dans la chambre d’hôtel de Fox. Au court de cette réunion informelle, Hyslop, Acomb et Fox se portèrent volontaires pour former un comité de programme ad hoc pour la conférence de Cornell. Les 1er et 2 avril 1955, vingt-neuf personnes (dont six historiennes, deux représentants de l’ambassade de France - Robert Valeur et Roger Vaurs- et Joseph Kraft, du New York Times) se réunirent à Ithaca pour une première « Conférence sur l’histoire de la France » informelle.

Ce petit groupe d’historiens et d’historiennes, principalement originaires de New York et de la Nouvelle Angleterre, examina trois thèmes fondamentaux de l’histoire de la France : les relations franco-américaines au cours de la période révolutionnaire, l’impérialisme français depuis la Première Guerre mondiale et les problématiques liées au travail en France depuis la Seconde Guerre mondiale. L’organisation en trois sessions plénières établit un précédent qui allait durer jusqu’en 1973, date à partir de laquelle les conférences annuelles comprendraient aussi des sessions parallèles. Le panel consacré aux relations franco-américaines incluait un article de Gilbert Chinard, lu en son absence et commenté par Jacques Godechot (Toulouse), Frances Childs (Brooklyn College) et Carl Locke (National Archives). Vincent Confer (Syracuse) fit une communication sur l’impérialisme français, tandis que le Père Joseph N. Moody (Cathedral College) et Jean Joughin (ultérieurement American University) traitèrent des problématiques liées au travail. . . .

Les historiennes et historiens rassemblés à Cornell décidèrent d’organiser, l’année suivante, une deuxième conférence sur l’histoire de la France, à l’Université de Pennsylvanie. Si la conférence de Cornell fut considérée par les fondateurs comme leur événement inaugural, ce fut la conférence de Penn des 3 et 4 février 1956 qui devint la convention constitutionnelle. La société fut officiellement créée et ses statuts rédigés. Le montant de l’adhésion fut fixé à un dollar et, comme David Pinkney l’écrivit à Stanley Hoffmann cet automne-là : ‘‘Tout ce qu’il faut, c’est être intéressé et avoir un dollar». Hyslop devint la première présidente de l’organisation permanente, chargée d’organiser la conférence de 1957 au Hunter College. Moody fut nommé vice-président et Pinkney secrétaire-trésorier, pour un mandat de trois ans. Soixante-seize personnes assistèrent à la conférence de Penn, dont seulement cinq femmes, Hyslop se trouvant alors en France avec une bourse Fulbright . . . . . En mars 1956, un mois après la fondation de la société, quelque quatre-vingt-quinze personnes l’avaient déjà rejointe, suscitant les craintes de Martin Wolfe, pour qui: ‘‘le nombre d’adhérents et d’adhérentes va certainement dépasser les 200 après la prochaine conférence. Ne pensez-vous pas que c’est trop?’’

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Avant et pendant la conférence de Penn de 1956, les participants et participantes discutèrent âprement du nom à donner à la nouvelle organisation. Il fut suggéré de l’appeler la Society for French Studies, mais Hyslop tenait à ce que le mot “Historical” soit inclus, pour distinguer les historiennes et historiens du groupe bien plus important des spécialistes de la littérature. Comme elle l’expliquait : ‘‘Nous ne voulons en aucun cas d’une majorité de membres qui soient littéraires, voire critiques d’art. . . . Nous émanons de l’AHA et non de la [MLA].’’ Bien que sa bourse Fulbright ait empêché Hyslop d’assister à la conférence de Penn, c’est sa conception de l’identité de la nouvelle organisation qui l’emporta: ce serait donc la Society for French Historical Studies.

Beatrice Hyslop

Née en 1899, Beatrice Fry Hyslop fut diplômée en 1919 de Mount Holyoke, où elle était capitaine et star de l’équipe de basket. Elle obtint son master en 1924, et, après avoir enseigné à l’école secondaire, passé un an en France et publié son Répertoire critique des cahiers de doléances, en 1933, elle obtint son doctorat de Columbia, en 1934. Sa thèse fut publiée la même année, sous le titre de French Nationalism in 1789, according to the General Cahiers. Elle dut attendre 1936 pour se voir proposer un poste universitaire au Hunter College où, pour $150 par mois, elle enseignait l’Histoire de l’Europe, de 1500 à 1815, à cinq sections. Elle y resta jusqu’à sa retraite, en 1969, après avoir été finalement titularisée en 1954.

Beatrice Hyslop (1919)
Mount Holyoke College Special Collections

Hyslop tissa un vaste réseau personnel et professionnel, en France aussi bien qu’aux Etats-Unis, entretenant une correspondance régulière (et abondante) avec bon nombre des plus éminents historiens et historiennes américains de la France et leurs homologues français. Cet impressionnant cercle de relations favorisa sans aucun doute la création de la SFHS. Après la guerre, elle s’efforça de promouvoir auprès des historiennes et historiens américains l’historiographie innovante du mouvement des Annales et d’éminents spécialistes de l’histoire sociale, tels que Georges Lefebvre et Ernest Labrousse. Elle gagna l’estime des chercheuses et chercheurs américains aussi bien que français en accédant, bien avant tout historien français, aux archives de la famille d’Orléans, à Dreux. Elle publierait plus tard un ouvrage consacré à Philippe Egalité, en mettant l’accent sur les biens fonciers et l’activité économique de la branche d’Orléans de la famille royale. Dans sa correspondance, Hyslop décrit la difficile ascension d’une colline abrupte menant au château d’Orléans. Une fois à l’intérieur, elle dut descendre les cent marches d’un escalier en colimaçon pour atteindre la salle non chauffée des archives. L’effort en valait la peine, car elle y trouva le rêve de tout historien et historienne : une pile de cartons poussiéreux restés dans l’oubli depuis des lustres. Le Comte de Paris en personne descendit voir comment elle allait et la prit au dépourvu en lui lançant en anglais un jovial ‘‘How are you?’’. Cette salutation inattendue et le sourire communicatif du comte impressionnèrent la chercheuse américaine, même si, comme elle l’affirma à ses correspondants : « cette expérience ne change en rien ma défense d’un modèle de gouvernement républicain pour la France ! ». Pas plus qu’une autre rencontre, tout aussi amicale, entre le comte et Lefebvre, ne modifia les convictions politiques de ce dernier. Hyslop avait invité les deux hommes à déjeuner avec elle à Reid Hall et il est en effet difficile de les imaginer partageant un repas où que ce soit d’autre.

De dîners avec des amis et collègues français (« Je ne refuse jamais une occasion de boire du champagne ! ») en visites de Paris avec des Américains et Américaines de passage, Hyslop semble avoir fait partie de la première génération de spécialistes américains à se rendre régulièrement en France. Elle y menait une vie sociale active parmi ses amis chercheurs et chercheuses: au début des années 1950, déjeuner « tranquillement » chez Labrousse était synonyme de « quatre heures de travail en moins sur une journée passée à la Bibliothèque nationale. » Hyslop rendait souvent les invitations dans la salle à manger de Reid Hall, consciente de ce que l’on racontait sur elle, vu la quantité d’invités qu’elle avait eue. Dans l’environnement professionnel, elle n’hésitait pas à s’affirmer. A la fin de la célébration du cinquantième anniversaire de la Société d’Histoire Moderne, elle réclama la parole, trouvant que la délégation belge n’avait pas assez remercié leurs hôtes français de la part de tous les invités étrangers. Elle eut donc le dernier mot lors du dîner de gala.

Même si elle ne jouissait pas, aux Etats-Unis, de la même notoriété que d’autres spécialistes aussi éminents, Hyslop était très estimée en France. Dès 1931, elle fut faite membre de l’Ordre des Palmes Académiques et, en 1962, elle devint l’une des rares femmes à être faite Chevalier de la Légion d’Honneur. De tels honneurs (en France) n’empêchaient pas Hyslop de penser qu’elle-même et ses collègues historiennes n’étaient pas traitées sur un pied d’égalité professionnelle avec leurs homologues masculins. Bien que dans les années 1950 le féminisme ne soit pas encore un mouvement politique de premier plan, Hyslop n’était pas dénuée d’une certaine vision proto-féministe. « J’ai toujours trouvé que Lefebvre me traitait de la même manière que n’importe quel chercheur, même si je pense qu’il avait tendance à considérer le cerveau féminin comme inférieur ». Evoquant l’un de ses collègues masculin que son épouse aidait beaucoup, Hyslop écrivit: « J’aimerais parfois avoir une épouse qui me serve de secrétaire, ou un époux rien que pour cela! Je n’arrive pas à avancer!”.

Les privilèges dont jouissaient selon elle les professeurs masculins l’incitèrent à répondre vertement à un article paru en 1956 dans l’American Historical Review, qui passait en revue les historiennes et historiens nord-américains et parmi lesquels elle remarquait très peu de femmes titulaires de postes universitaires. « Combien de fois », demandait-elle, “les responsables de départements à qui l’on demande de recommander de jeunes chercheurs et chercheuses pour des postes juniors proposent-ils des jeunes femmes prometteuses et pas uniquement des hommes ? » . . . [Il nous faut] une révolution dans l’esprit de certains historiens masculins”. Treize ans plus tard, Hyslop se demandait si, en fait, elle n’était pas « devenue féministe ». Il lui semblait qu’après une brève ouverture, on assistait maintenant, en histoire, à « une fermeture des portes aux femmes » et que « dans le domaine de l’histoire, les hommes reconnaissaient avoir un parti pris contre les femmes. »

Hyslop poursuivit sa tâche sans se décourager, jusqu’à sa retraite du Hunter College, en 1969. Deux ans plus tard, elle publia son dernier ouvrage, une histoire du Soroptimist International, organisation de femmes engagées dans les affaires et la vie professionnelle. En commentant la carrière d’Hyslop, ses collègues américains aussi bien que français l’ont décrite comme l’élément moteur de la Society for French Historical Studies dans les années 1950 et 1960, et comme étant ‘‘très dévouée’’ (René Rémond), ‘‘la cheville ouvrière’’ de la Société et ‘‘très sympathique’’, qui plus est ( Jean Heffer). En 1972, un an avant sa mort, la SFHS , à l’instigation d’Isser Woloch, lui consacra un numéro spécial de French Historical Studies.

La naissance de French Historical Studies

Marvin L. Brown Jr.
NCSU Digital Collections

Pendant la première partie de sa carrière, Hyslop, à l’instar d’autres spécialistes de la France, avait déploré qu’il soit relativement difficile de faire paraître des articles sur l’histoire de la France, que ce soit dans l’American Historical Review ou dans le Journal of Modern History. En 1957, la SFHS nouvellement créée décida de fonder sa propre revue spécialisée. Grâce à un legs de cent dollars et à quelques autres contributions, la revue French Historical Studies fut publiée pour la première fois en 1958, avec Marvin L. Brown Jr., historien de la diplomatie au North Carolina State College, à Raleigh, comme premier rédacteur en chef. Il supervisa tout le processus, depuis la révision jusqu’à la production de la revue au North Carolina State College Print Shop, et en resta rédacteur en chef jusqu’en 1966.
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Avec le lancement réussi de la nouvelle revue, la société en rapide expansion décida de quitter le Nord-Est pour son quatrième congrès annuel. L’université Duke et l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill se mirent d’accord pour organiser ensemble la conférence de 1958.

L’année suivante, la SFHS fit de nouveau des infidélités aux Etats du centre du littoral atlantique, au profit de l’université Case Western Reserve, à Cleveland. L’inscription et le dîner coûtaient maintenant 7,50 dollars, mais la conférence comprenait un concert de musique française, sous la direction de George Szell, de l’Orchestre symphonique de Cleveland. Toutefois, les membres de la société se plaignirent a posteriori du trop grand nombre d’activités annexes et beaucoup demandèrent à la présidente de l’année suivante, Evelyn Acomb, et à son vice-président, John Christopher, de réduire la quantité d’animations.

Les relations franco-américaines

Malgré les rapports étroits que les membres fondateurs de la société entretenaient avec d’éminents historiens et historiennes en France, l’intérêt des Américaines et Américains pour le passé immédiat et la politique contemporaine n’était pas partagé par leurs homologues dans l’Hexagone. Dans son compte-rendu sur la conférence inaugurale de Cornell, Godechot écrivit:

Jacques Godechot
Babelio

« Les historiens français seront sans doute surpris par la nature des sujets étudiés au cours de ce congrès. Ils sont pourtant fort caractéristiques de la tendance qui anime actuellement un grand nombre d’historiens américains. Ceux-ci sont beaucoup plus attirés vers les problèmes actuels que par l’étude des périodes quelque peu éloignées. Ils ont tendance, trop souvent, à confondre l’information avec la recherche véritablement historique. Il semble que seuls des contacts fréquents avec les historiens européens puissent faire évoluer dans un autre sens l’orientation actuelles des études historiques de nos amis américains ».

En réalité, les Américaines et les Américains, dans leur ensemble, étaient presque aussi intéressés par la période pré-1815 que leurs homologues français. Sur les 215 qui avaient rejoint la SFHS à la fin de 1959, 43 pour cent se concentraient sur la période pré-1815, 39 pour cent sur la période 1815-1914 et 18 pour cent sur la période allant de 1914 à nos jours. Il se peut que les chercheuses et chercheurs français et américains aient eu une vision différente de l’histoire « contemporaine ». Alors que bon nombre d’éminents historiens américains avaient été profondément marqués par ce qu’ils avaient vécu durant la Seconde Guerre mondiale, peut-être étaient-ils moins traumatisés que leurs homologues français ? Quoi qu’il en soit, ces derniers restaient persuadés que leur rôle était d’explorer des temps plus reculés.

La session la plus houleuse de la conférence de Cornell fut celle consacrée à l’empire français. Godechot et l’un des deux autres Français présents à la réunion d’Ithaca, Roger Vaurs, ne semblaient absolument pas convaincus par l’argumentaire de Confer, qui affirmait que l’empire français avait atteint son apogée dans les années 1930. Bien qu’ils aient certainement encore en mémoire la récente défaite française en Indochine, Godechot considérait toujours l’Algérie comme faisant « partie intégrante de la France », tandis que l’Afrique semblait solidement ancrée dans le giron de la sphère coloniale française. Pour Godechot et Vaurs, l’empire colonial ne pouvait pas avoir atteint son apogée dans les années 1930, puisqu’il était encore bien vivant.

Malgré les divergences au sujet de l’empire, divergences qui n’étaient pas sans rapport avec celles des politiques étrangères de la France et des Etats-Unis, Godechot restait un fervent allié des historiennes et historiens américains de la France. Hyslop, quant à elle, recherchait activement en France des financements pour permettre aux chercheurs français d’assister aux réunions organisées aux Etats-Unis. En juin 1956, elle écrivit au directeur de l’enseignement supérieur à Paris pour lui présenter la Society for French Historical Studies nouvellement créée et lui demander de financer le billet d’avion de Labrousse pour la conférence de 1957, à New York. Elle promettait d’assumer personnellement ses frais de séjour. Cette anecdote montre bien que la reconnaissance officielle du côté occidental de l’Atlantique tardait à venir. Sa requête se fraya un chemin du Ministère de l’Education nationale à celui des Affaires étrangères, dont les représentants écrivirent à leur tour à l’ambassade de France à Washington pour lui demander des renseignements sur la société. Les officiels de l’ambassade prétendirent n’avoir trouvé aucune information sur l’organisation, ce qui laissait à penser que la SFHS jouissait d’une ‘‘audience assez limitée.’’ Le Quai d’Orsay refusa de financer le voyage de Labrousse. La demande de Godechot, l’année suivante, subit le même sort.

Si la reconnaissance formelle du Quai d’Orsay tardait à venir, la coopération avec la Société d’Histoire Moderne fut quasi immédiate, là encore, en grande partie, grâce aux relations d’Hyslop. La Société d’Histoire Moderne invita la SFHS à s’associer officiellement avec elle et, en avril 1956, deux mois après la création de la SFHS, toutes deux approuvèrent cette alliance. Les responsables de l’organisation française cinquantenaire écrivirent à Hyslop et à Pinkney pour leur faire part de leur joie d’accueillir « un jeune descendant américain de leur organisation du vieux continent».

Un an plus tard, Roger Portal envoya un message d’amitié à l’occasion de la conférence de 1957 :

Nous sommes particulièrement heureux de la création, aux Etats-Unis, d’une ‘‘Society for French History’’ [sic], dont l’activité, associée à la nôtre, jouera un rôle majeur dans le rapprochement entre historiennes et historiens américains et français et contribuera à faire progresser la recherche historique. Nous sommes profondément touchés de l’intérêt que vous portez à l’histoire de notre pays. . . . Et, depuis l’autre rivage d’un océan qui nous lie plus qu’il nous sépare, notre organisation, aujourd’hui vieille de plus d’un demi-siècle, salue cordialement sa jeune progéniture. Nous avons hâte de nous mettre ensemble au service de l’Histoire.

Pour exprimer ces intérêts communs, la SFHS participa à deux conférences franco-américaines avec la Société d’Histoire Moderne. La première eu lieu à Paris, en 1960, et la seconde se déroula en 1964 , à l’Eleutherian Mills Historical Library (à Wilmington, dans le Delaware). Ces événements témoignèrent, une nouvelle fois, du dynamisme et de l’étendue du réseau d’Hyslop, qui les coprésida tout deux. Quelque quarante Américaines et Américains assistèrent à la réunion de 1960 (sur le chemin, pour beaucoup d’entre eux, de l’International Historical Congress, organisé à Stockholm). Les thèmes historiques franco-américains présentés étaient traités à la fois par une historienne ou un historien français et par une ou un spécialiste américain : ‘‘La Révolution française, atlantique ou occidentale ?’’ avec des communications de Robert R. Palmer et Jacques Godechot; ‘‘La France regarde l’Amérique,’’ par Durand Echeverria et René Rémond; ‘‘Les relations franco-américaines durant le Second Empire,’’ par Lynn Case et Claude Fohlen; et ‘‘Etudes historiques du XXème siècle,’’ par Jean-Baptiste Duroselle et Eugen Weber. Le colloque comprenait une visite privée des Archives Nationales et s’acheva par… un dîner croisière sur les Bateaux-Mouches !

Lors de la réunion de 1964, d’éminents spécialistes français et américains collaborèrent également en binômes à des thèmes variés: les structures sociales (Ernest Labrousse et Shepard B. Clough) ; l’opinion publique (Roger Portal et Robert Byrnes); la Révolution française (Marcel Reinhard et Crane Brinton); la Révolution de 1848 (Jacques Droz et William L. Langer); le libéralisme de 1840 à 1875 (Louis Girard et Joseph N. Moody) et les prolégomènes à la Seconde Guerre mondiale (Jean-Baptiste Duroselle et John Haight). Pour marquer le dixième anniversaire de la SFHS, la conférence organisée à l’Eleutherian Mills Historical Library rassembla plus de deux cents personnes. Elle s’acheva par un feu d’artifice dans les jardins de Longwood et donna lieu à la publication d’une remarquable collection d’essais. Comme Frances Childes, qui présidait le colloque, l’écrivit dans le prologue de cet ouvrage : « la ‘graine de moutarde’ qui a été semée lors de notre première réunion informelle à Cornell . . . a germé lors des réunions suivantes . . . pour devenir un véritable ‘arbre’! ».

Cet arbre a continué à croître et, alors que nous avons célébré un demi-siècle d’existence de notre propre société, nous pouvons apprécier tout le chemin parcouru. La SFHS est passée d’une vingtaine de participantes et participants lors de la conférence inaugurale, à quelque neuf cents membres. La plupart des grandes universités américaines et canadiennes ont une historienne ou un historien de l’histoire de la France et certaines en ont jusqu’à trois, voire plus. Avec au départ, dans les années 1950, quatre sessions et une douzaine d’intervenants, nos conférences sont devenues des événements majeurs, qui attirent régulièrement deux ou trois cents participantes et participants répartis en cinquante panels ou plus. A partir du milieu des années 1970, il devint impossible de se limiter à des sessions plénières ou de n’inviter qu’une poignée de collègues à prendre la parole. La qualité et le volume des travaux étaient tels que plusieurs dizaines d’historiens et d’historiennes voulaient présenter leurs contributions. La revue French Historical Studies, que nos collègues lisent aussi maintenant en France, témoigne de la richesse de ces travaux. Le congrès organisé à Paris pour le cinquantième anniversaire faisait certes figure d’exception, mais le programme comprenant trois cents participants et participantes venus des Etats-Unis, deux cents de France et une cinquantaine de représentant originaires de seize autres pays (sans parler des quelque trois cents autres personnes inscrites uniquement pour y assister) confirme que l’histoire de la France « à l’américaine » a toujours le vent en poupe. Le nouvel intérêt porté au colonialisme et à l’immigration, ainsi que notre attachement de longue date pour la théorie sociale et culturelle et l’histoire du genre, rapprochent notre domaine d’une histoire transnationale plus vaste, sans pour autant relâcher les liens qui nous rattachent à la France et à sa vibrante tradition histiographique. En travaillant dans les vignes de l’histoire de la France, avec l’aide de nos collègues de l’Hexagone, c’est toute la production historique nord-américaine que nous enrichissons.